Gaucher, une tare ?

Les gauchers sont 1 milliard sur la planète. Ils représentent 16% des populations dans la majorité des pays, jusqu’à 30% aux Etats-Unis, et actuellement un tiers de mes patients.
Les autres sont donc droitiers ou profil croisé ou mixte. Ce sont ceux qui ont deux de leurs membres dominants à l’opposé des deux autres. Par exemple : Œil et pied à gauche tandis que la main et l’oreille sont à droite.
Ils ne sont pas à confondre avec les ambidextres, ceux qui représentent la même aisance de la main droite et de la main gauche. Je n’en suis aujourd’hui aucun.
Ce qui m’intéresse en tant que graphothérapeute ce sont les gauchers dit contrariés.
Il était de bon ton dans les années 60/70 de rééquilibrer ce qui était alors considéré comme une tare depuis le 15ème siècle, influence de la pensée judéo-chrétienne. D'ailleurs Sinister en latin, se traduit par «gauche». Et en graphologie, on parle d’écriture sinistrogyre. C’est-à-dire avec des retours exagérés vers la gauche.
Cette chasse aux sorcières a été diablement efficace, mais contre-nature. On naît en effet gaucher. On ne le devient pas. Et empêcher cette catégorie d’utiliser leur main préférentielle n’en ont et n’en feront jamais des droitiers !
Il reste beaucoup de préjugés de cette période. Nombre de parents que je reçois s’inquiètent encore aujourd’hui de voir leur enfant prendre leur stylo de la main gauche.
« Il écrit mal, c’est parce qu’il est gaucher ! », préjugent-ils.
« Il est plus lent, c’est certain. », « Ça va porter préjudice à son avenir scolaire ? »…
Non ! Les gauchers n’écrivent pas moins bien que les droitiers.
« Des études très sérieuses ont démontré qu’il n’existait aucune différence entre les écritures des gauchers et des droitiers et qu’ils ne sont pas plus lents » confirme Marguerite Auzias* dans Enfants gauchers, enfants droitiers.
Ni manuellement, ni d’esprit. Leonard de Vinci, Michel-Ange et bien d’autres talents inoubliables étaient ou sont gauchers. Je m’insurge contre cette expression héritée de croyances ancestrales : « être gauche ».
Lors d’un bilan, j’ai reçu un petit garçon droitier au profil mixte. Il avait été suivi en maternelle par une graphothérapeute qui avait insisté pour « le rééduquer » en tentant un changement de main. Les conséquences ont été catastrophiques : au lieu de l’accompagner dans sa latéralité singulière – ce que tout graphothérapeute avertie aurait dû faire – sa tentative s’est soldée par une déstructuration de ses apprentissages et de son tracé.
Ecrire est un acte moteur et l’écriture est la conséquence de cet acte.
Les scientifiques ont mis en évidence, grâce aux imageries médicales, qu’elle sollicite notre cerveau droit ET gauche simultanément (contrairement au clavier d’un ordinateur). Cette coordination hémisphérique est essentielle à la construction cérébrale des enfants
Gauchers et parents de gauchers, soyez rassurés !
Certes, visuellement, 70 % des enfants gauchers adoptent la position du poignet tordu au-dessus de la ligne d’écriture (poignet en crochet), et ont tendance à écrire en miroir (tracé à l’envers). Les gauchers rencontrent naturellement des difficultés dans le balayage gauche-droite.
Mais Mme du Pasquier-Grall, Présidente du Groupement International des Graphotérapeutes Cliniciens rassure et atteste aussi que « Si l’on apprend au petit gaucher à bien positionner sa main d’emblée, de manière à avancer librement sur la ligne, il est soulagé de la nécessité de se livrer lui-même à de périlleuses recherches d’une position de main qu’il n’est pas encore apte à trouver et qui aboutit chez certains à cette fameuse main tordue du gaucher. ».
Sachez aussi que la moitié de mes patients droitiers ont le même placement de main, au-dessus de la ligne de base ou sur le côté. Ils ont donc le même besoin de repositionnement dans leur rééducation.
Alors, droitiers ou gauchers, finalement c'est le même combat ! ...

* Marguerite AUZIAS

Née en 1926 à Tunis, elle quitte la Tunisie à l'âge de 19 ans pour faire ses études en France, de littérature française tout d'abord, puis de psychologie à Paris.
En 1955, elle est stagiaire de psychologie à l'hôpital Henri Rousselle/Sainte-Anne, et assiste aux consultations du Pr Julian de Ajuriaguerra. Elle commence à pratiquer les examens d'écriture avec Hélène de Gobineau, initiatrice des bases de la rééducation de l'écriture.
Dans les années 1957-1958, ces bases sont posées. Julian de Ajuriaguerra lui confie des recherches sur l'écriture de l'enfant, puis la responsabilité d'un service de rééducation de l'écriture. Ses travaux de recherche ont porté sur le développement de l'écriture de l'enfant, sur la latéralisation, et sur la thérapie graphomotrice des perturbations possibles de l'écriture. Elle a été responsable des Services de rééducation de l'écriture de l'enfant, au Centre Alfred Binet,(ASM13), dirigé à ses débuts par le Pr Serge Lebovici, puis, à l'hôpital Henri Rousselle/Sainte- Anne, à la consultation du Pr Julian de Ajuriaguerra et de René Diatkine.
C’est actuellement Unité de Psychopathologie de l'Enfant et de l'Adolescent, centre référent pour les troubles du langage et des apprentissages, dirigé par le Docteur Evelyne Lenoble. Elle a fondé une école de Thérapie graphomotrice de l'écriture de l'enfant basée sur la méthode de relaxation Schultz, adaptée par J. de Ajuriaguerra. Celle-ci conduira plus tard à la Graphothérapie clinique, sous l'impulsion de Marie Alice du Pasquier, psychologue et psychanalyste. De 1976 à 1982 Marguerite Auzias a dirigé une équipe de recherche INSERM, affectée au laboratoire de la chaire de Neuropsychologie du développement du Collège de France, sous la direction du Pr J. de Ajuriaguerra.